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samedi 19 janvier 2013

Interview : Elsa Fantino, l'héritière !

Pour toutes celles et ceux qui auraient des difficultés à appréhender la part de féminité concédée aux arts de combat et au domaine coutelier...

Voici l'interview "brut de forge" de la talentueuse Elsa, qui se livre ici avec passion, et authenticité, sans détours & sans concessions, telle qu'on aime la découvrir.

A lire et relire, beaucoup de messages et de valeurs sont véhiculés dans son propos, de quoi méditer assurément !



Elsa, peux-tu nous évoquer ton parcours personnel, comment t'es tu initiée au combat & a la forge ? 

Je suis née a la campagne, j'ai passé  mon enfance dans une petite vallée du Beaujolais, dans une maison sans voisins. Dès mon plus jeune âge, j'ai passé beaucoup de temps en forêt, à construire des cabanes et faire de longues marches. Mes parents et ma grand mère faisaient beaucoup de cueillettes, les champignons, les herbes, les fruits sauvages, c'était donc naturel pour moi de me considérer avec un couteau dans mes poches. Mon père me laissait prendre ses outils, j'avais le droit de bricoler, j'avais même un établi dans ma chambre. Mes parents étaient "éduc-spés", branchés sport (mon père : un roi du footing pédagogique!); ils m'ont incité à pratiquer plusieurs disciplines à un bon niveau, notamment le plongeon artistique de haut vol et le judo (en plus des footings !). J'ai commencé la compétition assez tôt, cela a formé ma combativité, et puis j'ai été éduquée par des gens qui se sont battus pour leurs idées. Je pense que cette enfance a déterminé profondément ce que je suis devenue, emprunte de vie libre en pleine nature, d'exercice physique partie prenante de l'éducation, de compétition et de débrouillardise, autant d'éléments qui sont toujours présents dans ma vie actuelle. 

Quand j'ai eu 15 ans, j'ai eu besoin de me confronter à la réalité que je croyais connaître à travers ma passion pour les livres, je suis partie a Lyon, en lycée bilingue, et j'ai fait l’expérience de la vie urbaine. A cette époque j'étais "immergée" dans la plongée sous marine, je pensais en faire mon métier, mais j'aime plus les poissons que les touristes, c'était plus raisonnable de ne pas donner suite. Après le bac je me suis exfiltrée du système scolaire avant de mourir d'ennui, je suis partie en Australie voyager... Après un an de baroude, inutile d'essayer de reprendre les études, c'est dans cette période de flottement, entre diverses formations (tronc commun pour passer un BE de plongée, formation sauvetage en mer) que j'ai pratiqué l'escrime médiévale de spectacle. Je ne savais vraiment pas comment m'accomplir, je voyais bien que je ne supporterai pas les touristes, je voulais entrer chez les marins pompiers de Marseille, mais ma myopie me l'a interdit, donc entre deux jobs alimentaires, j'ai appris a manier les épées et les boucliers, et je me suis peu à peu passionnée. J'ai commencé à me documenter sur les armes, leurs fabrications, ce qui m'a amené vers le couteau custom. J'ai acheté mes premiers magazines et visité mes premiers salons. J'ai rapidement voulu fabriquer, ce qui n'était pas simple parce que les stages étaient trop onéreux. J'ai  fini par entrer en contact avec le président de la guilde des couteliers forgerons, Yves Pellequer, qui m'a convié au rassemblement de la guilde pour mettre quelque coup de marteau. Il y en a qui sont touchés par la grâce, moi j'ai été touchée par la forge ! C'est étrange mais c'est comme ça, j'ai forgé un après midi, j'ai posé le marteau, j'ai appelé mon coloc', j'ai tout vendu dans mon appartement et posé ma dédite et je me suis consacré a la forge totalement. D'abord en allant de rassemblement en ateliers, puis en apprentissage de ferronnerie d'art. 

Ce qui a déclenché ma passion pour les arts martiaux , que j'avais effleurés avec le judo, fut la mort de mon père. Je suis rentrée dans une salle de pied poing en en voulant a la terre entière, j'y ai trouvé le chemin dont j'avais besoin pour m'accomplir et transcender ma rage. J'ai commencé par le Yoseikan Budo (Discipline fondée par Hiroo Mochizuki), qui a été pour moi une super approche du MMA (mixed martial art), puis full et karaté contact, enfin grâce a mon boulot qui me faisait beaucoup voyager aux U.S.A., j'ai pu m’entraîner sérieusement en Mixed Martial Art et Jujitsu Brésilien, même si malheureusement, je n'ai pas trouvé le moyen de faire carrière sur place. Ensuite, j 'ai attendu d'avoir un bon niveau avant d'aller a la rencontre de Fred Perrin pour mêler mes deux passions, j'y allais plus pour le maniement du couteau que pour la self en général, avec cette rencontre j'ai abordé le combat sous un jour nouveau, celui de la survie, loin du combat rituel des disciplines sportives





 De quelle façon orientes tu tes recherches, quelles sont tes sources d'inspiration ? 

 J'ai un lien spontané avec les objets tranchants. L'important pour moi, c'est d'abord d'avoir une vie ou l'usage des lames est quotidien : je fais mon bois, j'ai un jardin, je cuisine, ça m'arrive de chasser avec des amis, je fais des cueillettes, tous ces gestes simples m'inspirent. Il m'aident a garder un coté pragmatique, un objet n'est pas une forme qui se conçois à plat sur une feuille, mais avant tout un usage, de longs moments passé dans la main. Ce sont souvent mes mains qui pensent pour moi.
 J'ai eu la chance de beaucoup voyager, pour l'aventure ou grâce à mon métier. Dans des mégalopoles ou des lieux éloignés de la civilisation, ces voyages m'ont permis d’expérimenter des  modes de vie, cela m'aide a me projeter dans des usages auxquels je ne penserai par forcément. Je pratique l’empathie a travers les objets, c'est ma façon de rendre compte de mes rencontres, de ce qu'elles ont pu  me transmettre, le voyage reste un de mes but dans l’existence, la forge est un moyen pour moi de témoigner de mon ressenti sur le monde, c'est sans doute en cela que la coutellerie peut se poser en terme d'art.
Ensuite, je me nourrie de l'art, justement. J'aime la peinture, la sculpture, les arts décoratifs, j'essaie d'aller voir des expos, de prendre le temps de regarder vraiment ce qui m’entoure, l'architecture, mais aussi le monde végétal ou le règne animal. Je cherche partout, dans la mode, dans le design, je feuillette beaucoup de magazines, des livre d'arts. J'aime les objets anciens, même très primitifs. Je suis fan des productions des studios Gybli, de Tim Burton, j'aime le nouveau courant steam punk, c'est sans doute une forme de nostalgie, pour l'enfance ou les choses du passé... mais c'est un autre sujet ! 
Parmi ce qui me nourrie, il y a mes nombreuses passions, des activités que je pratique, ou pour lesquelles je me suis passionnée à fond à certaines périodes de ma vie, et qui restent en moi, comme la plongée, ou l'équitation, je n'ai pas une âme de spécialiste, j'aime faire l’expérience des choses, les phases d’apprentissage, la prise de risque. C'est cette tournure d’esprit qui me permet d'avoir une esthétique assez large. Ce n'est pas un positionnement commercial facile, mais je ne veux pas rentrer dans une case plutôt qu'une autre : le tactique, le couteau d'art, le couteau de terrain, le couteau forgé, l'urbain, le pur custom, la micro série, je veux faire tout cela. Je sais que c'est compliqué pour les collectionneurs, ce n'est sans doute pas judicieux de ma part, le monde qui nous entoure aime qu'on rentre dans les cases, même le monde excentrique de la coutellerie. Mais je ne crois pas à la créativité sans sincérité, c'est une de mes rares part de naïveté ! 


 Ta rencontre avec Fred Perrin fut décisive dans le déroulement actuel de tes réalisations, peux tu nous parler de cette sorte d'alchimie ?

Lorsque j 'ai rencontré Fred, je passais beaucoup de temps aux Etat Unis ou je m'entraînais en free fight assez sérieusement, j'avais construit mon atelier chez moi, mais les couteaux c' était pour les amis, pas pour vendre. Je pratiquais le karaté contact en France (discipline instituée par Dominique Valera) après avoir été en équipe de France de Yoseikan budo. J'avais des amis dans les sports de combat, et d'autres amis dans les couteaux et la forge. Fred a été la première personne à faire le lien entre les deux pratiques. Avant de le rencontrer, j'avais cette passion pour les lames, les capacités techniques de les faire, et le besoin impérieux de pratiquer les sports de combat les plus contact possible, mais je ne voyais pas comment articuler les deux. Je ne pensais pas avoir les techniques suffisantes dans chaque domaine pour en faire le centre de ma vie professionnelle, Fred m'a d'abord montrer comment je pouvais tout simplement additionner les deux.
Sans doute aussi m'a t il aider a avoir plus confiance en moi. C'est compliquer d’être une femme et de vendre les couteaux qu'on fabrique. Pas pour moi, mais c'est compliquer pour certaine personnes a recevoir, il faut beaucoup prouver, se justifier. Cela m' arrive de faire face à des réactions de détestation violente, d’incompréhension, parce que culturellement le couteau est un symbole masculin fort, et certaines personnes mettent leur masculinité en compétition avec la mienne, ce qui n'a pas de sens. Ce n est pas destiné a moi en tant que personne, mais c'est quand même à moi d y faire face. Le regard et l'analyse de Fred sur mon travail m'ont permis de comprendre, d'assumer, et de pouvoir expliquer mes objets, en quelques sorte les défendre. Pour Fred, un couteau est avant tout un couteau, qu'il soit produit par une femme ou pas. Et exposer a coté de lui calme pas mal les ardeurs... (sourire). C'est très différent de ne plus être seule a l'atelier, seule dans ma pratique, surtout quand les deux sont aussi liés, et prennent autant de place dans le quotidien. L’alchimie c'est de ne plus penser seule, de pouvoir se renvoyer les idées, en débattre, de pouvoir se soutenir ou être soutenu, d'avoir un regard masculin ou d'offrir un point de vue féminin . Comme le Yin et Yang qui sont dans toute chose, en proportions variées, nous nous équilibrons, cela nous permet de réfléchir plus loin.





 En tant que passionnée de defense personnelle et méthodes de combat avec ou sans arme, comment envisages tu la self defense au sens féminin ? 

C 'est une question difficile...Je m’entraîne en self depuis trois ans en suivant l'instruction de Fred. J'ai une expérience du combat, j'ai fait des compétitions et surtout, je me suis entraînée dans plein de salle, ou j'allais "sparer" sans connaître personne, cela m'a bien formée. La self comme je l'ai découverte avec Fred, pour moi ce n' était pas nouveau, c’était nouveau de la théoriser et de la transmettre: j'ai beaucoup voyager seule, dans plein de pays, dans plein de milieux. J'ai débarqué dans des vielles salles de boxe à Brooklyn ou dans des aéroports déserts à Moscou, le self défense, je l'ai pratiqué sur le terrain de manière spontanée, sans le savoir. Des armes improvisées qui passent les contrôles aériens j'en ai toujours eu, je ne les ai jamais achetées ! Instinct de survie, débrouillardise, on en revient a l'éducation. Et surtout, ce qui m'a sans doute tiré de pas mal de situations tendues c'est d'avoir un point de vue très cynique sur le monde qui m'entoure : je ne pense pas que le monde soit "gentil". Et c'est à ça que je veux en venir... pour moi, il n'y a pas de self féminine, il y a une pédagogie pour enseigner la self aux femmes. Je pense tout d abord qu' il y a la self des plus de 75 kg, ceux là peuvent faire du dégât à la main, ils seront à poids égal ou supérieur a leur adversaire, et il y a la self des moins de 75 kg, qui passe selon moi par les armes improvisées et avant tout «l' awarness», le principe d’être conscient du lieu ou on se trouve, l'heure, la tenue, ce qui détermine un «potentiel d'emmerdements probables». C'est là où la pédagogie diffère : la pression sociale sur les femmes est insidieuse, dès leur plus jeune âge, on leur enseigne qu'elles sont de jolies princesses, qu'elles doivent être gracieuses, responsables, sages, leur potentiel de violence est occulté, une fille ne joue pas a la bagarre sinon elle est un garçon manqué. Pourtant, elles la portent viscéralement en elles, prenez-vous en a un membre de leur famille et vous verrez ces barrières voler en éclat, c'est purement "animal", les femmes on une violence radicale. Elles en ont d’ailleurs peur, puisqu'on leur a martelé qu'elles ne sont pas faites pour ça. La self féminine passe donc par cette prise de conscience, débloquer les verrous.  Après cette phase il faut même souvent les freiner. Leur réapprendre la maîtrise, leur faire déterminer quel est leur propre seuil de déclenchement,  à partir de quand elles vont dire "NON", et ce que cela va impliquer. 
L'autre difficulté est de leur faire admettre que nous ne somme pas là pour débattre de l'injustice d'une agression mais pour y faire face. Par exemple, expliquer qu'a 2 heures du matin en sortant de boite en mini jupe, avant de rentrer en métro, il est judicieux de quitter les talons et d'enfiler une paire de ballerine sorti du sac a main, et de mettre un petit pantalon en toile qui ne tient pas de place par dessus la minijupe. La self défense féminine n'est pas féministe, il n'est pas du ressort de l'enseignant de changer la société pour que des femmes puissent rentrer chez elles habillées comme elles le voudrait, le prof est là pour leur donner des clefs pour qu'elles puissent rentrer sans encombre. C 'est tout a fait injuste mais il faut faire avec la réalité de ce qui nous entoure, est c'est un des messages dur a faire passer. De toute façon les femmes seront toujours plus en difficulté face a une agression, les motivations des agresseurs sont spécifiques, quand leur proie est une femme, les lésions que l'agression laisse sont souvent plus dramatiques, donc je pense qu'il faut leur donner des moyens radicaux, les moyen de dire "NON", juqu'au bout et de se respecter a travers cette décision.
Je ne suis pas pour les cours féminins, peut être faire une première approche entre filles mais il faut rapidement s’entraîner avec des hommes, ne serait-ce que pour se familiariser avec une part de masculin que peut d'entre elles partagent avec leurs compagnons. L’entraînement mixte est un bon moyen d’apprendre a faire attention aux messages corporels qu'elles projettent sans s'en rendre compte : pour ne pas se faire repérer comme une proie il ne faut pas s'afficher comme un appât. ( holala ça va faire crier les féministes!!). La maîtrise du langage corporel est un élément essentiel, se défendre c'est avant tout ne pas se faire agresser. Là encore, la vigilance et le discours de l'enseignant doivent être aiguisés et ne vont pas forcément plaire, il faut être très clair sur les motivations et les interactions dans les cours mixtes. Quand on y  réfléchit bien, la self pour les femmes n'est pas très agréable à enseigner, il faut avant tout les confronter une réalité abrupte et leur donner des outils souvent bancales pour se tailler une place au milieu de tout ça.
En dernier lieu, mais cela s’applique aussi aux petits gabarits masculins, la self passe par être en bonne condition physique. Il n'est pas certain que votre agresseur soit préparé à un adversaire tonique et rapide, être prêt physiquement sera toujours un avantage, la pratique des sport de combat me paraît essentielle. Sans forcement faire de la compétition, mais le sparing donne l'habitude des coups, il permet d’appendre à continuer de réfléchir sous la pression, de chercher des solutions. L’entraînement pour les femmes comme pour les hommes doit comporter des phases les plus réalistes possible, la difficulté est de ne pas se faire mal pendant l'exercice et la pratique d'un sport de combat donne souvent une aisance et une capacité technique qui aide a franchir plus vite les étape en self et à pouvoir les entraîner sans blesser son partenaire.





 Être une femme forgeron-courtelière, tout en conservant une grande part de féminité, c'est plutôt atypique, quel est ton secret ? 

C'est drôle ça comme question ! Il y a des tas de gens qui ne voient pas nécessairement cette féminité, c'est souvent mes objets qui génèrent ce genre de réflexion !
Le secret est d’être naturelle, que je le regrette ou non, la nature ne m'a pas faite pour être danseuse étoile, j'ai fais avec ma forme de corps, et j'ai accepter ma forme d’esprit. Une part d’inné, une part d’acquis sans doute, j'aime le combat et les armes, je ne m’intéresse pas tant au pourquoi, je préfère le vivre. Pour ce qui est de la forge, c'est pareil, je pratique la peinture, le dessin, la sculpture, et j'ai les capacités physiques de transformer du métal, c'est tout, coup de bol de la génétique peut être ! Forger pour moi c'est comme danser, tourner un bol en terre, ou faire une marqueterie, en plus physique, le métal est la matière avec laquelle j'ai une affinité, cela ne s'explique pas, ma chance est d'avoir l'outil corporel qui me permet de le transformer. En dehors de cela, je suis une femme comme les autres. Cela n'a pas été facile a décanter, de garçon manqué à femme "réussie", il y pas pas mal d'étapes a franchir, d'assurance à gagner, de clichés contre lesquels il faut se battre, je suis de sexe féminin, je suis donc par essence féminine, c'est l'image que l'on m'a renvoyé de moi même qui ne l’était pas toujours, il m'a fallu le recul nécessaire pour être honnête dans mon propre jugement, pour prendre conscience. Les objets que je crée m'ont aidé, ils témoignent de ce qui n'est pas forcement flagrant dans mon image. Ce sont eux qui m'ont permis d'assumer pleinement ma féminité.





Qu'est ce qu'un bon professeur d'arts martiaux et de defense personnelle selon tes critères ?

Un bon professeur est celui qui te donne envie d'apprendre, envie de te lever et d'y aller, la force de prendre la voiture sous la neige pour aller t’entraîner 2 heures après la journée de boulot et les emmerdes du quotidien
Avant tout parce qu'il rend la discipline passionnante. Un bon enseignant a une culture de ce qu'il enseigne, un niveau technique, une créativité dans les mode de transmission, une capacité d'adaptation a chacun de ces élèves, ce n'est pas l'élève qui ne comprend pas, c'est lui qui transmet mal, ce n'est pas l’élève qui n'est pas doué, c'est la technique qui n'est pas adaptée. Un bon enseignant n'éduque pas des clônes de lui même, il adapte sa pratique, il développe son point de vue, il accepte l'apport des autres a travers leurs capacités physiques différentes des siennes. Il s’intéresse aux moins doués et il a plus de fierté à voir l'élève qui avait de grandes difficultés franchir un cap que de voir l’athlète de haut niveau assimiler une technique de plus.
Un bon enseignant doit être capable de se placer en tant qu’élève, il dois se confronter a la réalité d'essayer un truc nouveau pour lequel il n'est pas forcement doué, il doit prendre plaisir a suivre l'enseignement des autres, il doit viscéralement avoir envie de s’entraîner et de continuer a progresser dans la connaissance de sa discipline.
Un bon enseignant a un discours clair et constant, il peut varier la profondeur de ce qu'il veut dire suivant le niveau de ses élèves mais il doit toujours parler dans la même direction, ne pas se contredire, parler avec justesse, être sur de ses idées, savoir les argumenter et admettre qu'il peut changer d'avis malgré tout, un bon enseignant n'est pas obtu, comme en toute chose, sa seule constante est le changement dans le respect de sa pratique.
Enfin un bon enseignant n'a pas d'ego, il transmet par besoin, donner cours est plus fort que lui, cela fait partie de la façon dont il conçoit sa pratique, il s'abreuve de ce qu'il reçoit de ces élève, c'est ce qui le fait avancer, il leur donne du sens, une forme de responsabilité, envers lui, envers eux même, ses élèves s’entraînent aussi pour lui, pour être à la hauteur de ce qu'il transmet, et c'est là toute la difficulté, l'enseignant ne doit pas utiliser ce respect qu'il génère a ses propres fins, il est facile de sombrer dans des dérives sectaires, c'est la qu'il doit savoir dompter son ego. Un bon enseignant cherche a vous rendre plus libre, dans vos mouvements, dans votre pratique, dans vos fonctionnements, il vous donne des clefs pour comprendre, pas des dogmes, il vous pousse sur votre chemin mais ne vous force pas a suivre le sien.
Il n'y a pas beaucoup de bons enseignants...





 Peu de spécialistes évoquent le principe d'E.D.C (every day carry), pour une femme, que penses tu de l'idée ?

Je pense qu'il est compliqué de se mettre a la place d'une femme si on en est pas une !  L'E.D.C., c'est déjà compliqué en général, cela dépend de ce que vous faites, où vous vivez, le potentiel de risque, le besoin d'utiliser.
En gros, si comme moi vous vivez a la campagne, que vous avez un jardin et que vous faite des travaux, l' E.D.C. varie du neck bowie inox au Spyderco serrated clip en passant par un bowie P-H Monnet... bon d'accord, qu'en est-t'il pour les urbains ? En gros en ville je vois 3 usages : manger au resto ou chez des potes avec un couteau qui coupe, ouvrir des cartons, des lettres, des emballages, enfin couper des bricoles, et éventuellement, en dernier recours l'utilisation d'une lame ou d'un objet d'impact pour la self défense.
Bien sûr les femmes n'ont pas le même rapport aux lames que les hommes, peu d'entre elles vont avoir plaisir a porter un objet tranchant, pourtant elles mangent toutes au resto ! Le premier E.D.C. que je vois pour une femme, c'est un chouette petit couteau pliant, qui va lui permettre de couper ce qu'elle a dans son assiette en pensant à celui qui lui a offert l'objet. Je pense que malheureusement peu d'hommes y pensent de cette façon. La lame qui nourrie, la lame dans son usage le plus courant, la lame objet du quotidien, qu'on a plaisir a sortir du sac a main en envoyant une petite pensée douce à celui ou celle qu'elle représente, voilà un concept E.D.C. pas suffisamment utilisé pour les femmes.
Pour les autres usages susnommés, je m'efforce de créer des objets que les femmes auront envie de porter, au même titre qu'un accessoire de mode. Bien sûr la réflexion se porte énormément sur les modes de port, et c'est une des directions de mon travail à venir, comment porter, comment dissimuler en montrant, comment placer des étuis sur une garde robe féminine, c'est un véritable casse tête.
Enfin, pour l'usage exclusivement "self-défense", je pense que les femmes ont besoin d'objets extrêmement adaptés, comme les bijoux tactiques, qui, puisque par essence se montrent, sont toujours accessibles rapidement, des "impact-tools" sympas qu'on a envie de porter ouvertement. Les femmes ont bien assez de trucs dissimulés dans leurs sacs a mains... Pour moi, leur E.D.C. doit pouvoir se montrer, faire partie de leur style vestimentaire, souligner leur personnalité, tout un programme !



Aurais-tu un mot a ajouter pour nos lecteurs ? 

Et bien si je peux ajouter quelque chose de personnel, je dirais...
Réfléchissez a votre démarche, aux raisons qui vous poussent à vous entraîner dans les sports de combat ou la self défense, prenez du recul, essayez d’être honnête avec vous même, et donc dans vos jugements sur vos profs, sur les objets que vous choisissez. Méfiez vous des "super-héros de la mort qui tue". Franchement, si vous étiez un super-héros, est-ce que vous ne seriez pas en train de sauver la planète au lieu de donner cours à 10 élèves dans une salle moisie ? Prenez votre pratique pour ce qu'elle est, prenez vous pour ce que vous êtes, si vous voulez être un soldat, et bien rentrez dans l' armée, vous voulez être un "contractor", prenez un billet pour l’étranger et allez garder des parkings, mais ne gonflez pas ceux qui s’entraînent pour d'autres motifs avec tout autant de sincérité et bien souvent plus de réussite. 
Personnellement, je fais cela parce que c'est en moi, dans ma forme de corps, mais aussi pour rester libre, libre d'avoir toujours la possibilité de faire un choix, quelles qu’en soient les conséquences.  Mais je pratique avant tout pour le bonheur que je trouve dans cet effort, pour le plaisir du jeu, de cet échange avec l'autre.
Gardez de la légèreté, allez vers ce que vous ne savez pas faire, trompez vous, recommencer, la vraie pratique a besoin de tout cela, le reste c'est du bourrage de crâne, de la répétition stérile, plus vous apprenez, moins vous devez avoir de certitudes, plus vous aurez envie d'apprendre encore...
Et avant tout, prenez soin de vous, au sens propre, votre corps est le seul véhicule que vous aurez, montrez lui votre estime, ne vous mortifiez pas, il vous le rendra bien !
Enfin, soyez heureux, le bonheur est un choix difficile, pas une fatalité, ni un hasard.



Merci beaucoup, Elsa, pour la richesse de ton propos, et à bientôt pour de nouvelles aventures !

Elsa Fantino, artisan créatrice



jeudi 10 janvier 2013

Le fantôme errant...

*Ghost Dog

Du plus loin que je me souvienne, l'effet le plus marquant dans ma forme de pratique actuelle, furent les rencontres, les échanges, ou plutôt cette faculté "d'errer" à la recherche de l'improbable, cette efficacité tant convoité, répondant à une soif de vérité.

Et comme dans tous domaines, on peut parfois faire de bonnes rencontres, de celles qui font avancer, progresser, de celles qui font percer certains mystères essentiels. De prises de consciences en désillusions je crois que le pratiquant-chercheur authentique a ce devoir d'être souvent confronté à ses doutes et incertitudes, en balayant d'un revers de main toute idée reçu, tout dogme tel qu'il soit, quitte à ne rien trouver...dans un premier temps.

J'aime reprendre l'allégorie de l'éléphant dans le noir, où plusieurs pseudos spécialistes vont dans l'obscurité la plus complète, tâter et palper des parties distinctes d'un éléphant pour en conclure qu'il s'agit de toutes autres choses, animaux ou objets variés...sauf d'un éléphant !

Il en est de même dans les arts dédiés au combat, au vrai combat celui qui nous incite à devoir survivre. Bon nombre d'écoles d'arts martiaux distillent un enseignement académique, structuré, basé sur des normes quantitatives hiérarchisées, sur lesquelles reposent des strates d'évolution aveuglantes, incapacitantes, laissant peu de place à toute forme d'impulsion créative. Je m'explique...comment prétendre former des individus à la capacité de se défendre en leur donnant une boite à outil sans mode d'emploi ?
Quelques uns, déjà aguerris à la manipulation de ces outils parviendront plus ou moins facilement à trouver une façon de faire, une méthode qui leur deviendra "propre".
Mais pour l'immense majorité de celles et ceux qui tenteront de "jouer" avec ces outils sans trop savoir se les approprier ni en tirer le plein potentiel, la rude réalité risque un jour de les rattraper, dans le meilleur des cas ils finiront par se blesser ou se perdre !

De nombreux pratiquants aguerris, issus de différents styles ont aujourd'hui leur "tool-box" qu'ils mettent en oeuvre instinctivement avec leur propre savoir-faire, issu d'un réel échange entre l'inné et l'acquis et d'une expérience certaine. Une technique, aussi efficace soit-elle ne donnera rien en matière d'efficacité martiale, tant que l'état d'esprit qui l'anime ne l'apprivoise pas. Cette relation corps-esprit est primordiale.  Et nous ne sommes pas tous égaux devant l'assimilation technique, même une technique rapidement "ingérée", tel un enchainement parade-riposte de deux ou trois coups peut s'avérer désastreux en situation. Pourquoi ? Parce qu'elle ne nous "appartient" pas, parce-qu'au lieu de travailler sur un arc réflexe, nous conditionnons notre corps à travailler différemment de ce qu'il est conçu pour faire. Nous dénaturons notre intime perception de la défense en nous appropriant un autre système, étranger et que l'on ne peut absorber...

Mieux vaut alors définir soigneusement ses besoins en terme de défense et sécurité personnelle, de qualifier ses priorités d'entraînement tout en ne négligeant pas le plus important : VOUS, c'est à dire le véhicule qui vous conduira le plus sûrement et confortablement là où vous le souhaitez. Et pour ce faire, prenez le temps pour errer face à vous même. Errez de façon "fantomatique",  à la recherche de ce qui vous semble bon pour vous, et rien d'autre !

*Interprété par Forest Whitaker, Ghost Dog incarne parfaitement cette idée de chercheur itin'errant qui pratique les armes et le combat de façon bien personnelle et complémentaire, pour répondre à ses exigences de tueur à gage dans ce film culte basé sur le célèbre Hagakuré, code d'honneur des guerriers samouraïs.